Le 20 décembre 1812
Ma très chère Mère,
Cinq jours déjà sont passés depuis ma dernière lettre et il me semble pourtant que c'était ce matin. Il faut dire que mes journées défilent à la vitesse d'un cheval au galop. Je serai pour cette campagne l'adjointe du général Otto de Zeppeline, un personnage haut en couleur, tu peux me croire. Mon rôle se bornera à m'occuper des tâches mineures. Il m'a, pour l'instant, délégué l'intendance et la gestion des stocks. On ne se doute pas de ce que peux consommer une armée ! Il me faut également prévoir la ligne de ravitaillement pour notre traversée du désert. Je ne puis te dire quelle sera notre destination, nous mêmes, n'avons que peu d'information à ce sujet. Si les vents nous sont favorables, mars devra nous voir débarquer pour une croisade impériale.
Je suis impatiente d'aborder les côtes de la Terre Sainte. Nous allons libérer cette terre du joug de l'envahisseur coalisé !Il me tarde de me retrouver au front, entourée de mes hommes ou participant aux conseils de l'Etat Major de la Garde. L'ambiance des feux de camps, les bivouacs avec mes troupes, la solidarité qui transpire de toute la Garde. Tout cela me manque.
Je ne sais quoi te dire sur la ville de Marseille, mis à part qu'elle sent le poisson et que cela ne me plaît guère. Les auberges d'ici vous proposent une bouillie de poissons, un gruau sans nom qui me porte le cœur au bord des lèvres. Une monstruosité qu'ils nomment bouillon de Bresse je crois.
Marseille me fait l'effet d'un cloaque débordant et grouillant. Les petites gens pullulent et se dorent au soleil avec une oisiveté à l'épreuve du temps. L'animation ici est saupoudrée d'une couche de poussière salée. Dieu que Paris me manque !
J'ai retrouvé avec plaisir Antoine Tarpagnan. T'en rappelles tu mère ? Nous nous connaissons depuis la bataille de la Loire, lors que nous luttions farouchement pour protéger Nantes conte ces chiens d'Anglo-portugais. Une alliance aussi improbable qu'exécrable. Que la Loire me fut chère ! Mon fringant gascon a été promu Général de la Jeune Garde pour cette campagne. C'est un immense honneur pour un si jeune engagé, je ne doute pas qu'il tiendra son rôle avec bravoure. Le colonel De Saizieu sera aussi des nôtres, il a laissé poussé sa moustache qui lui donne un air de vrai grognard. Voilà qui augure d'une campagne riche en péripéties.
Pour ce qui est des grognards justement, tu peux te rassurer, leur comportement en ma présence est des plus dignes. Je sens bien les efforts qu'ils font pour limiter leurs effluves personnelles et je leur en sais gré. Te dire qu'ils sont des gentilshommes, je ne le pourrais. Loin s'en faut. Mais leurs tentatives pour ne pas me choquer, aussi minimes soient-ils, en deviendraient presque touchantes. J'ai même surpris l'un d'eux à retirer les morceaux de nourriture de sa moustache avant de manger. J'en suis restée pantoise. Le principal est qu'ils m'ont adoptée dès le premier jour. Ces hommes rudes ne sont point des rustres.
Je n'ai pas encore eu la possibilité de rencontrer les hommes de père. Mais j'ai appris que ses 3 navires étaient bien accostés au port. Ils sont actuellement dans la rade et je joue des pieds et des mains pour qu'ils ne soient pas réquisitionnés pour le transport de la flotte.
Embrasse bien les petites pour moi, porte toi bien et donne moi de tes nouvelles.
Ton Émilie.