Marie Nikolaïevna Bolkonskaïa veillait le malade depuis maintenant une semaine.
Depuis que le cuirassé Saint-Petersbourg avait quitté la baie de Chesapeake pour s'en retourner en Russie, elle n'avait pas mis un pied hors de la cabine ou il reposait.
Ses crises de délire aussi brèves que soudaine ne semblaient pas vouloir s'atténuer, au point qu'il avait fallu se résoudre à l'attacher afin qu'il ne se blesse pas involontairement.
Dans ces moments là, il ressemblait à un lion, les yeux exorbités et l'écume aux lèvres. Il semblait commander à un armée imaginaire qu'il haranguait dans un sabir incompréhensible fait de russe, de français et même d'anglais.
S'en remettra t'il? Songea t'elle.
A vrai dire, elle n'en savait rien et le médecin major Dolokhov qui visitait le malade plusieurs fois par jour était aussi sceptique qu'elle.
La porte de la cabine s'ouvrit, la tirant instantanément de sa rêverie.
Un officier était entré et vu les parements qui ornaient sa tunique, il était haut gradé. Il avait la mâchoire puissante et le crane lisse et poli comme du vieil ivoire.
Ses yeux allèrent du malade qui dormait paisiblement à l'infirmière, s'attardant un instant sur les rondeurs que la robe blanche de celle ci mettaient parfaitement en valeur.
-A t'il repris connaissance?
-Non Monsieur, pas depuis que nous avons appareillé.L'air embarrassé, l'officier s'apprêtait à tourner les talons quand, avant de partir, il déposa un pli au chevet du malade.
-Si jamais il revenait à lui, faites moi immédiatement mander, je vous prie.
-Qui êtes vous monsieur? Je ne connais même pas votre nom.-je suis le général Margration et je loge dans la cabine de l'amiral Senyavine.
-Très bien monsieur.Il sortit.
Marie Nikolaïevna Bolkonskaïa était de plus en plus intriguée par la scène qui venait de se dérouler devant ses yeux.
Qui peut il bien être? Pourquoi un général vient il à son chevet?Le malade commençait à s'agiter dans son lit.
Une nouvelle crise. Pensa t'elle.
Et je ne peux rien faire pour le calmer. A moins que...Elle décacheta le pli apporté par le général et entreprit d'en faire la lecture à haute voix au malade :
- Citation :
Nous, Alexandre Ier Pavlovitch Romanov, Tsar de toutes les Russies, adressons nos plus vives félicitations aux officiers et soldats du Corps Expéditionnaire Russe en Amérique. A l'issue de la première Campagne que vous avez brillamment mené, nos couleurs ont été hissées dans la capitale ennemie.
Le Maréchal Habramovitch, victime d'un fièvre cérébrale contractée en service, a été rapatrié en Russie pour le temps de sa convalescence. Nos voeux de rétablissement les plus forts l'accompagnent.
Le Général de Corps Margration, brillant stratège et vainqueur des armées françaises à Richmond, est quant à lui rappelé à Moscou pour instruire la future génération d'officiers qui actuellement étudie à l'académie militaire du Corps des Pages Impériaux. Nul doute que les enseignements prodigués par un officier aguerri aux techniques modernes de combat seront d'une grande importance pour les futures générations d'officiers supérieurs russes.
En lieu et place du Général Margration, le Colonel Foka Pokotylo est nommé Général de Corps commandant le Corps Expéditionnaire Russe en Amérique. Nous lui souhaitons de mener une brillante campagne et de faire étinceler nos couleurs aux sommets les plus élevés des territoires pris à l'ennemi abhorré.
Qu'il en soit ainsi décidé et exécuté
SAINT PETERSBOURG le 05 Aout de l'an de grâce 1805
Alexandre Ier Pavlovitch Romanov, Tsar de toutes les Russies
Le malade se calmait petit à petit et quand elle eut fini sa lecture, elle put constater qu'il était parfaitement assoupi.
HRP : Officiellement, tu as une maladie des boyaux de la tête.