Premier-Empire, le jeu ! |
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| La campagne d'un cadet | |
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Invité Invité
| Sujet: La campagne d'un cadet Mer 2 Nov 2011 - 0:05 | |
| Un chant ? Non… Plutôt un murmure, qui enfle et qui par moment devient cri. Je rêve, de cérémonie barbare, de prêtres exotiques psalmodiant dans un idiome inconnu des incantations à une divinité féroce pendant que derrière eux des femmes semblables à des harpies agitent des crécelles. La douleur me réveille, pas de prêtres dans cette grange, rien que des paillasses humides posées à même le sol, l’une contre l’autre. Combien de paillasses ? Deux cent au bas mot, sur chacune d’elle un homme qui gémit, qui se tord, qui crie, qui pleure. Deux cent voix qui réunies forment un chant barbare, pendant que sur ma droite, à quelques mètres, sur une table mal équarrie un médecin militaire soigne à coup de scie. Et la scie racle l’os, dans un bruit de crécelle. Elle frotte, elle gratte, cette scie impitoyable… Hypnotisant va et vient, archet sanglant, qui tend le corps d’un homme comme corde de violon. Car il se tend, l’homme, les aides chirurgiens on peine à le maintenir. Il roule des yeux affolés sur ses soigneurs bourreaux. Le bandeau de cuir qu’il serre entre les dents ne suffit à contenir sa douleur et sa peur. Enfin, la scie mord dans le vide, et le chirurgien trésaille sous le poids de cette jambe coupée. Poussant un juron, il rejette le membre, tel une branche morte sur un tas sanglant à côté de la table, et s’affaire maintenant à recoudre le moignon. Je regarde le tas, sanglant obélisque, érigé dirait-on, pour rappeler aux soldats que si le général a son arc de triomphe, le troufion comme salaire reçoit une jambe de bois… Combien de bras ? Combien de jambes ? Je cherche à les compter…
-Alors fiston c’est ton bras que tu cherches ? N’y penses plus vas, tu vas te faire du mal.
Je tourne la tête, une montagne d’homme me regarde, il porte le bonnet de la garde et son uniforme est ensanglanté. Tout en le regardant, je pense : « Une vraie image d’épinal, je vois d’ici la légende… Un vaillant grognard réconfortant un jeune engagé ».
-Fiston ? Tu m’entends ? Ne t’inquiète pas, l’empereur veille sur ses soldats, un bras en moins, la belle affaire ! Même avec un bras tu trouveras une jolie fille pour vouloir t’épouser, avec une belle gueule comme la tienne.
-Un bras en moins ?
Mon regard file affolé vers mon coté droit, une manche vide ! Mon Dieu, ils m’ont coupé le bras !
-Te frappe pas petit ! Tu te débrouilleras sans, tu faisais quoi dans la vie ?
J’ai envie de hurler, j’ai envie de le frapper, ce gros grenadier avec son air bonasse. Mais pourtant quand ma réponse sort, ma voix est étrangement assourdie :
-J’étais ébéniste.
-Humm évidemment, c’est pas de chance… Fichue guerre ! Et t’a été blessé ou ?
- Devant Castets, une balle ou un boulet, je ne sais plus trop.
-Une balle ou un boulet ? Fiston si tu sais pas la différence entre les deux, je m’étonne plus que tu te sois fais toucher.
Mais c’est qu’il rigole ce saligaud, il se fout de moi ce grenadier du diable !
-Ah bah, fiston, me regardes pas comme cela, je plaisantais. Castets on m’en a parlé, sacrée bagarre y parait, tu vas me raconter ça.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: La campagne d'un cadet Mer 2 Nov 2011 - 1:16 | |
| Que veut-il que je lui raconte ? L’histoire d’un idiot qui vivait bien de son métier et qui pour une heure de gloire au cabaret a fichu sa vie en l’air ? Je regarde son visage, il n’a pas l’air méchant, non, on dirait un aubergiste. Oui c’est cela, un aubergiste, il a le teint rougeaud des amateurs de vin, et des mains à tenir vingt bons pichets de bière. Pourtant, à mieux le regarder, on devine sous son air bon enfant, une certaine férocité. Il a l’allure de ces hommes pour qui tout est simple et clair, il doit enfoncer une baïonnette dans un ventre comme on pique un ballot de paille et trancher une gorge comme on coupe un melon. Mais ce genre d’homme fait souvent les meilleurs des amis, du moins à la guerre… Alors je lui réponds :
-Que veux-tu que je te raconte l’ancien ? Nos combats à Royan ? La prise de Sabres ? La bataille de Castets ?
-Comme tu préfères petit, je suis pas compliqué. Tu vois rien que de pouvoir parler avec quelqu’un ça me fait passer le temps.
-Pourtant ce ne sont pas les gens qui manquent à qui parler, l’ami, c’est plein à craquer ici si je vois bien.
-Oui, plein à craquer de Polonais et d’Espagnols, mais t’es le premier français que je vois. En fait tu vois je t’ai observé des que tu es entré…Je me disais : « bon Dieu, enfin un français ! C’est pas un garde, c’est jamais qu’un lignard de merde, ou peut être un voltigeur, mais en tout cas, lui c’est un français »
-On est les deux seuls français ici ?
-Oui mon gars, aussi vrai que je m’appelle Jean-Joseph. Attention, j’ai rien contre les Polonais…Ou les espagnols ! Ils savent se battre ces bougres là, mais pour ce qui est de causer avec eux… On est sur les arrières du Vème ici mon ami, t’as dû être ramassé par des brancardiers Polonais.
-Probable, et toi ?
-Moi, j’ai été blessé au début de la campagne, un coup de sabres dans le gras de l’épaule gauche et un autre qui m’a coupé trois doigts à droite. Du coup comme je pouvais plus tirer mais que je pouvais encore me rendre utile on m’a affecté à l’intendance. Je conduisais des charrettes de vivres, de munitions, tu vois.
-Oui, je vois. Mais cela ne m’explique pas pourquoi te voilà ici.
-Ben, il y a 3 jours, en déchargeant pas très loin d’ici, je suis tombé et ma blessure c’est rouverte. Je voulais pas qu’on me conduise ici, mais cette bande de chiffes molles au dépôt, ils ont rien voulu entendre, ils disaient comme ça que je perdais tout mon sang. Bandes d’embusqués, on voit bien qu’ils en voient pas souvent du sang ! Enfin finalement le colonel du dépôt m’a ordonné de me présenter ici pour me faire soigner…Un ordre est un ordre, donc me voilà. Bon, alors le jeunot, tu me la raconte ta campagne ?
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: La campagne d'un cadet Mer 2 Nov 2011 - 2:21 | |
| -Si tu veux… En fait, j’avais jamais imaginé qu’un jour je me retrouverais aux armées.
Oh non, cela mon pauvre grenadier sans doigts, tu ne sauras jamais à quel point j’avais même jamais songé à me prendre pour un soldat. Mais comment pourrais-je expliquer à un gars comme toi, que pour moi, l’Empereur, la guerre, la patrie, c’était bon pour les autres. Je me revois encore, conduisant ma charrette, avec cette belle Garde-robe en chêne arrimée dessus, en train de compter combien elle allait me rapporter. Bon dieu, que le temps était beau, que la vie paraissait belle. Il y avait bien ces affiches, ici et là sur les murs, qui parlaient de conscription, mais pourquoi s’en faire ? Je fournissais le sous-préfet, j’étais exclu du tirage. Les reflets du soleil sur l’Escaut en ce 10 juin… Si seulement j’étais rentré tout droit chez moi !
-Qu’est-ce que je disais ? Ah oui, donc j’étais allé livrer des meubles au sous-préfet à Tournai…
-Tournai ? Connais pas, ça perche ou cette ville ?
-C’est dans le nord, sur l’Escaut. Enfin soit, je revenais d’avoir livré, les poches pleines, on n’était encore qu’en début d’après-midi… Je me suis dit : « julien, tu as bien mérité un remontant ». Et donc comme je sortais de la ville par le quartier Saint Brice, je me suis arrêté à la brasserie de la couronne.
-Et tu es tombé sur des recruteurs, un classique cela mon bon !
-Non, je suis tombé sur un enterrement.
-Hein ?
-Enfin, c’était pas un enterrement, mais tout comme. C’est ce que je me suis dit en entrant. Ils tiraient tous des têtes désolées. Et dans un coin, à une table, il y avait cette fille… Une beauté, tu n’imagines pas !
-J’imagine bien.
Non camarade, à ton air lubrique, je devine que tu imagines mal. Je la revois encore, des cheveux dorés, des grands yeux verts, un air de douceur qui vous transperce le cœur. Et bien mise avec cela, pas une paysanne, non, plutôt une bourgeoise, pas richissime, mais aisée, visiblement. Le genre de fille que l’on courtise pour sa beauté, que l’on fiance pour ses bonnes qualités, et que l’on épouse pour sa dot.
-Je ne suis pas sûr, c’était pas une grue, ni une fille facile tu vois ? Non, non, une fille avec qui tu pourrais te marier.
-Je vois…
-Donc moi, la voyant en larmes, je m’approches, et tout en liant connaissance j’apprends que son frère est tiré au sort pour la conscription.
-Et tu t’es proposé à le remplacer…
-Oui…
-Ha ! Celle-là c’est la plus idiote qu’on m’ait jamais racontée, et t’étais à jeun ?
-Oui…
-Bon sang, je trouve enfin un français à qui parler, et je tombe sur un idiot !
Ris, tu ne m’empêcheras pas de penser que c’est encore plus bête de partir faire la guerre pour la gloire et un bonnet à poil que d’y aller pour une fille.
-Et encore, je ne t’ai pas raconté le pire.
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| | | lemarn Chevalier de Wolfenbüttel, Prince de Brunswick.
Nombre de messages : 12072 Age : 53 Localisation : au sud Nation : Date d'inscription : 09/10/2010
| Sujet: Re: La campagne d'un cadet Mer 2 Nov 2011 - 6:32 | |
| Très bien écrit. La suite. PS : Opti ne fait pas que dans l'humour et c'est très bien aussi | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: La campagne d'un cadet Mer 2 Nov 2011 - 12:44 | |
| -Parcequ’il y a pire fiston ? Je suis curieux de savoir ce que t’as bien pu faire te pire, allez, raconte ! Fiston ? Hé fils ? Tu m’entends ? T’es pas bien ?
La douleur, oh, la putain de douleur ! Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir me redresser ! Oh bon Dieu, je peu plus respirer. J’ai l’impression qu’on m’a planté un couteau, là juste sous la clavicule, à droite. Non, pas un couteau, une aiguille. Je sais maintenant ce que devaient ressentir les papillons quand Monsieur Delachambre, le pharmacien du village, les épinglait sur un carton avec leurs noms en latin en dessous. La pharmacie, sur la place, je suis de retour, il fait chaud, j’ai cinq ans, et je pleure. Je pleure parce que je me suis oublié dans mon pantalon du dimanche, tout neuf, et que maman va me gronder.
-hé mon garçon ! Euh, Jules ? Ah non Julien, oh Julien, accroche toi petit !
Ne me secoue pas grenadier ! Je t’en supplie tu vois pas que tu es en train de me tuer ? J’ai un caillou dans la poitrine et toi tu l’agite ! Laisse-moi rêver, laisse-moi m’endormir. Laisse-moi pleurer pour un pantalon gâté, c’est mieux que de gémir sur un bras perdu. Laisse-moi…
-Infirmiers ! Par ici, le voltigeur se sent mal ! Venez m’aider, il a même pissé sous lui ! Faut pas le laisser partir, il a pas vingt ans !
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: La campagne d'un cadet Ven 4 Nov 2011 - 11:03 | |
| De qui est-ce qu’il parle ? De moi, probablement. J’ai 25 ans grenadier, mais c’est vrai que pour un vieux sac de cuir comme toi, je dois avoir l’air d’un gamin. Tiens ? Je l’entends moins fort, sa voix flotte, elle s’éloigne, pourquoi est-ce que tu t’en vas grenadier ? Bizarre, cela sent l’alcool. Grenadier ? Jean Joseph ? Pourquoi tu changes de voix, Pourquoi tu me parles en latin ? Comme les curés ? Je ne suis pas encore mort tu sais !
-Daj mu trzydzieści kropli laudanum i od sierżanta duży, będzie obudzić wszystkich naszych pacjentów!
-choć doktor
Je ne sens plus mon corps, quelle sensation étrange. Quel est ce gout amer dans ma bouche ? Oui, je me souviens, c’est le gout de l’herbe que je mâche pour oublier qu’une fois de plus le ravitaillement n’est pas arrivé à l’étape et qu’on va devoir se passer de vin, et de pain, ce soir encore. J’aimerais dormir, mais je ne peux pas, je suis trop fatigué, même pour dormir. Et puis… Et puis ce matin on à reçu notre baptême du feu. Oh, dans les livres , cela parait tellement glorieux, tellement propre, tout cela ! Même moi qui n’ai jamais voulu tuer personne, je m’imaginais sottement, qu’une bataille cela avait un petit côté spectaculaire et pourquoi ne pas le dire…Esthétique. En peinture, oui peut-être. Du haut d’une colline, longue vue à la main comme ce bon colonel Opti, probablement. Mais au ras du sol, au milieu des cris et de l’odeur, c’est autre chose ! L’odeur, pourquoi on n’en parle jamais dans les communiqués ? L’odeur… La nôtre tout d’abord, un relent de mal lavé et de suée aigre, de cuir trop neuf et de graisse a fusil. Une odeur de peur. Et puis la fameuse odeur du combat, dont tout le monde parle sans l’avoir sentie. Un souffle chaud, acre, et piquant quand la compagnie tire une salve.Un fumet de terreau et de crottin de cheval, quand les pauvres voltigeurs que nous sommes s’aplatissent dans les herbes pour éviter les tirs. Et après le combat, l’odeur douceâtre des chevaux morts, leurs tripes si roses sur l’herbe verte et l’infecte odeur du sang caillé, aigre et métallique. Quelle belle heure de gloire pour le 176eme léger ! Nos premiers ennemis morts, sont des ennemis français. Des paysans, des gens simples, qui se sont battus pour le Roy et pour not’bon monsieur le comte, contre les antéchrists. Ah il peut être fier Louis, depuis son exil doré ! Nos balles ont fauchés ses partisans comme les blés en aout. Les jolies gerbes que voilà, pauvres corps mutilés. Quel glorieux fait d’arme il nous a imposé. Je ne pense pas qu’on osera inscrire sur nos drapeau le massacre de Royan aux coté de Marengo.
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| | | Invité Invité
| Sujet: encore... Sam 5 Nov 2011 - 20:05 | |
| Tu peux continuer, c'est bon ça!!! |
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